Pour notre premier segment « Au coeur de l’athlète » de la saison, le gardien Jonathan Bernier y va de ses adieux à la LNH, après une belle carrière de 404 matchs. Ça va comme suit:
« J’ai de la misère à croire que je suis en train de faire mes adieux à la LNH. Il me semble que j’ai été repêché par les Kings hier. Mais non, ça fait déjà 17 ans. Comme le temps passe vite!
Aujourd’hui, les jeunes jouent au hockey 12 mois par année. Go go go, t’arrêtes jamais. Mais dans mon temps, tu pratiquais avec ton équipe, that’s it. Tu n’avais pas toutes ces sessions avec des entraîneurs privés de gardiens ou tous ces camps spécialisés.
À 14-15 ans, j’étais dans le sports-études hockey à Georges-Vanier et j’ai rencontré Marco Marciano, qui est depuis plusieurs années l’entraîneur des gardiens du Rocket de Laval. J’avais Marco à moi tout seul deux à trois heures par semaine. C’est vraiment là que j’ai commencé à me développer.
Puis, junior, j’ai commencé à m’entraîner beaucoup et à vraiment prendre ça au sérieux. Avant ça, je jouais au hockey et je m’amusais. J’avais un certain talent et je ne mettais pas tant d’heures dans ma préparation et mon entraînement.
Mes parents m’ont toujours supporté et m’envoyaient au camp de Benoit Allaire, dans le coin de Deux-Montagnes, une semaine avant le début de saison. J’ai vraiment commencé à croire en mon potentiel quand j’ai été choisi en première ronde, au repêchage de la LHJMQ [2004]. Je me suis dit à ce moment qu’il fallait que je mette plus d’efforts, que j’avais peut-être une chance de jouer dans la LNH.
J’ai vraiment de bons souvenirs de mon passage junior, à Lewiston. Premièrement, je dois parler de Clément Jodoin. Il m’a vraiment aidé sur la glace, mais aussi à devenir une meilleure personne. Il m’a aidé à trouver une bonne famille de pension.
En plus, on a gagné la coupe du Président et on est allé à la coupe Memorial, l’année de mes 18 ans [2007]. En finale de la LHJMQ, on avait battu Val-d’Or, qui avait notamment Brad Marchand et Kristopher Letang.
Partir de la maison à 16 ans, ce n’est pas évident. Certains peuvent se sentir perdus. Mais le fait que je sois tombé dans une bonne famille de pension a vraiment facilité ma transition. Vraiment, je n’aurais pas pu demander mieux pour mes années junior.
Est venu ensuite le repêchage de la LNH. Si un jeune te dit qu’il ne regarde pas les classements des espoirs, il est menteur! J’avais bien fait à Lewiston, plusieurs me disaient que j’allais être le premier gardien choisi. Je savais donc que j’allais sortir en première ronde.
Mais après ça, quand tu entends vraiment ton nom, 11e overall en plus, c’est assez impressionnant. C’est big!
À plusieurs moments au cours de ma carrière, je me suis demandé ce qui me manquait pour être un vrai de vrai numéro un. Toute ma vie, j’avais dominé. Même dans la Ligue américaine, j’avais reçu le titre de gardien de l’année [2009-2010]. Mais dans la LNH, j’ai toujours été un gardien 1A ou 1B. Chaque année, je jouais pas mal entre 30 et 50 matchs.
Aujourd’hui, à 35 ans, quand je repense à mon début de carrière avec les Kings, je crois que je ne suis juste pas arrivé dans le bon timing, avec un Jonathan Quick qui était en feu! C’était peut-être, à ce moment, le meilleur gardien de la LNH.
Je ne me disais pas ça à l’époque, car je voulais jouer dans la LNH le plus rapidement possible et j’ai eu la chance de le faire dès mes 19 ans. Mais quand je regarde mon cheminement aujourd’hui, et j’espère que les jeunes vont lire ces lignes, je crois que j’aurais été mieux de jouer plus de matchs dans un moins bon niveau que d’être assis sur le banc dans la LNH.
Quand je suis arrivé à temps plein dans la LNH, à 22, 23 et 24 ans, j’ai perdu mon momentum de bon-gardien-numéro-un-qui-jouait-tout-le-temps. J’avais, plus jeune, une sorte de swagger, de confiance. Je l’ai perdu en ne jouant pratiquement pas derrière Quick. J’ai même commencé à douter de moi.
Mais en même temps, pendant ces années-là, j’ai appris énormément. Tout comme j’ai appris en gagnant la coupe Stanley en 2012, même si je n’ai pas joué.
Ensuite, j’ai eu une première année incroyable à Toronto [,922 en 55 matchs], mais j’ai perdu ma confiance et je me suis fait échanger. J’ai, par contre, toujours travaillé fort et je crois que c’est pour ça que j’ai joué aussi longtemps dans la LNH. J’ai toujours été le premier sur la glace et le dernier à en sortir. J’ai toujours été un bon coéquipier aussi.
Mes années à Los Angeles vont toujours être spéciales. Mon repêchage, mon premier match dans la LNH, la coupe… mais je dirais que je me sentais aussi vraiment bien à Detroit [2018 à 2021]. Je me sentais mature, j’ai délogé Jimmy Howard comme partant, je jouais beaucoup de matchs. J’étais au sommet de ma forme et je comprenais bien la game. C’est là que j’ai été le plus constant.
J’aurais même aimé ça rester à Detroit, mais ça n’a pas adonné. J’ai été échangé en Caroline et je n’ai pas été capable de m’entendre avec les Hurricanes, alors je suis devenu joueur autonome et j’ai signé avec les Devils.
Je suis arrivé au New Jersey et je ne pensais jamais que j’allais jouer seulement 10 matchs avec les Devils. Ceux qui songent à la retraite ont le temps de se préparer. Ils profitent de chaque entraînement, de chaque match, de chaque voyage, car ils savent que c’est leur dernière saison.
Moi, je n’ai pas pu vivre tout ça. Au camp d’entraînement 2021, on jouait contre New York, je suis rentré dans le poteau et j’ai senti un clak, comme si ma hanche venait de sortir de son socle. C’est le feeling que j’ai eu. J’ai continué à jouer, mais je ne pratiquais presque pas.
Je prenais de la cortisone aux deux semaines, mais à un moment donné, on a réalisé que je ne pourrais pas faire la saison au complet. On a considéré l’opération pour remplacer ma hanche droite, mais les docteurs ne pensaient pas que c’était une bonne idée vu mon âge et ma position de gardien. J’ai donc commencé ma réadaptation, mais dès que j’augmentais le tempo et m’entraînais trois ou quatre fois par semaine, je sentais de l’inflammation dans ma hanche.
J’ai eu beaucoup de discussions avec ma femme et mes enfants. J’aurais pu demander un remplacement de la hanche, mais ensuite, j’aurais dû attendre une autre année et demie avant de recommencer à jouer. J’aurais alors eu 36 ans, j’aurais été plus de deux ans sans jouer et j’aurais dû retourner dans la Ligue américaine pour prouver à tous que j’étais correct. Je ne me voyais pas faire tout ça.
Et l’an dernier, en décembre, les docteurs m’ont dit que c’était mieux que j’arrête de jouer, plutôt que de me faire souvent injecter de la cortisone pour essayer de revenir.
Quand ils m’ont dit ça, j’ai eu des émotions partagées. D’un côté, j’étais fâché, déçu et triste, mais d’un autre, j’étais comme soulagé. Je savais maintenant à quoi m’en tenir. Les gens ne réalisent pas la pression qu’on a de performer. À un moment donné, le corps a du mal à suivre. Et là, mon corps m’a lâché.
J’étais triste, mais d’un autre côté, je regardais ma femme et mes enfants et je m’accrochais à ça. Les gars qui partent à la retraite, seuls, ça doit être vraiment dur, parce que toute ta vie, tu as joué au hockey et parlé de hockey. Mais moi, je suis chanceux, j’ai ma famille.
Encore aujourd’hui, j’ai parfois mal à ma hanche droite, surtout en fin de journée. Mais bon, je sais maintenant quoi faire pour contrôler la douleur. Je sais que, un jour, je vais devoir me faire opérer, mais ça va attendre.
Oui, j’aurais aimé en donner encore plus, mais avec le recul, je me dis que j’ai quand même joué 14 ans dans la Ligue nationale, ce qui est exceptionnel. J’ai un petit pincement au coeur de ne pas avoir joué 500 matchs, l’équivalent pour un gardien de 1000 matchs pour un joueur. Si je n’avais pas été blessé, je l’aurais sûrement atteint avec les Devils. Je suis déçu un peu, mais avec le recul, non seulement j’ai atteint la Ligue nationale, mais j’y suis resté longtemps. Et ça, c’est difficile.
Si je pouvais parler au jeune Jonathan Bernier qui commence dans la LNH, je lui dirais d’avoir plus de fun. Je me suis toujours mis beaucoup de pression, même quand j’étais jeune. Je lui dirais de profiter davantage du moment présent. D’un autre côté, si j’ai atteint la LNH et y ai joué longtemps, c’est parce que je prenais ça au sérieux et que je travaillais fort.
À mes parents, je vous dis un énorme merci. J’ai deux p’tits gars qui sont présentement dans le hockey et je réalise tous les sacrifices que ça implique. Le voyagement, les sous que ça coûte… jamais je ne pourrai les remercier assez pour tout le temps et l’argent qu’ils ont mis pour que mon frère [Marc-André] et moi puissions faire ce que l’on aimait le plus. Mes parents n’ont jamais été sévères envers nous, point de vue hockey, mais mon père me disait toujours: « Je veux juste que tu travailles aujourd’hui ». Et ça m’a influencé tout au long de ma carrière.
À ma femme Martine et à mes enfants [Tyler 9 ans, Brady 4 ans et Ivy 2 ans], un gros merci aussi. Ma blonde va trouver ça drôle en lisant ça. Mais je lui dis souvent que sans elle, je n’aurais pas eu une aussi longue carrière. Ma femme a toujours été là pour me supporter, me laisser dormir quand je revenais à 2-3h du matin, garder mes enfants tranquilles le matin, ma bouffe et mes siestes d’avant-match… tous les sacrifices qu’elle a faits pour que je puisse me concentrer uniquement sur le hockey, je ne pourrais jamais lui dire assez merci.
J’aurais aimé jouer plus longtemps pour que Brady et Ivy soient assez vieux pour se souvenir de moi comme gardien. Tyler, lui, est plus vieux et m’a accompagné souvent sur la glace et dans le vestiaire. C’était incroyable pour lui, il m’en parle encore. Il aimerait même que je retourne jouer!
Je ne sais pas trop ce que l’avenir me réserve. Oui, j’aimerais rester dans le monde du hockey. Je coache d’ailleurs avec Trevor Daley, mon ancien coéquipier à Detroit, des jeunes de 14 à 16 ans les mardis, mercredis et jeudis, de 10h30 à 12h. J’aime ça. Mais je me donne six mois pour penser à ce que je veux faire. Je ne veux pas rester chez nous à ne rien faire. Je veux rester occupé et stimulé.
Mais présentement, ma priorité, c’est ma famille. Je veux être le plus présent possible pour mes enfants, surtout pour leurs 10 premières années. Après ça, ils vont devenir pré-ados et ne voudront plus me parler!
Pour l’instant, on passe nos étés au Québec, à Saint-Hyppolite, et on a loué une maison à Naples, en Floride. On se donne deux ans pour voir si on aime ça, la Floride. Si ça ne fonctionne pas, on va retourner vivre à temps plein au Québec.
Merci à ma famille. Merci aux Kings, aux Maple Leafs, aux Ducks, à l’Avalanche, aux Red Wings et aux Devils. Merci aux partisans. Merci aux médias.
On se recroise peut-être bientôt dans un aréna, pour un match d’un de mes enfants. »
– Jo